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Par Devidead.com et dvdactu.be
C’est Devildead qui ouvre le débat. Pour l’anecdote, un spectateur peu éclairé à évoqué un plagiat du 5e élément de Luc Besson durant une séance de question/réponse publique lors de l’avant-première…

Interview:

Cette remarque est un peu embarrassante pour celui qui connaît un peu le cinéma de genre et je crois qu’elle vous a irrité non ?

Ouais (air géné), j’avais dit que je ne m’emporterais pas sur ce genre de truc qui reviennent sans arrêt, mai bon (regarde en l’air)… vous savez, c’est un peu comme si, dès qu’un privé apparaissait dans un film avec un trench coat, un chapeau et une cigarette, on se demandait sur qui le réalisateur avait pompé.

Oui tout à fait, on connaît les codes du genre et on est contents de les retrouver dans un film qui fait de toute façon plus penser à un « Avalon » qu’à un film de Besson.

C’est une coïncidence, mais je préfère ces comparaisons là de toute façon. Ca ou Tarkovski par exemple qui sont des influences pour moi. Tu sais, « Avalon » a aussi à voir avec le Stalker de Tarkovski finalement. Pour moi, John, dans Immortel, c’est aussi ce personnage de passeur qu’on retrouve dans Stalker. Puis c’est plein d’autres références aussi : Les ailes du désir, Metropolis, Brazil ou encore Blade Runner, tout ça est inter-pénétrant. C’est ça la SF ! Si on fait autre chose, si on élimine ces codes ce n’est plus de la SF.

A propos de Blade Runner, il y a une anecdotes qui a été rapportée avec Ridley Scott…

Oui, ce n’est pas pour me vanter, mais pour la sortie de Blade Runner lorsque Ridley Scott est venu à Paris, il a demandé à me rencontrer pour me remercier de l’inspiration que moi, et d’autres lui avions insufflée pour ce film. Je l’ai vu dans sa chambre d’hôtel et nous avons longuement discutés. Bon, si je disais ça à Besson je sais pas ce qu’il dirait… peut-être que Blade Runner lui doit tout qui sait ? Non je ne veux pas faire de polémique surtout que je sais qu’il a vraiment rendu hommage à la BD française avec le 5e élément, mais ces comparaisons sont assez agaçantes à la longue.

Tu t’es re-penché sur la trilogie Nikopol, mais à la condition de la revisiter totalement, de t’en inspirer plus que de l’adapter pour l’écran. Pourquoi ?

Simplement parce que ça ne sert à rien de refaire ce qui a déjà été fait. Et puis pour d’autres raisons aussi. Je vais vous raconter une anecdote. En 1986, Ettore Scola avait dans l’idée de réaliser un film en partant des Phalanges de l’ordre noir, un album que j’ai réalisé avec Pierre Christin au scénario et qui compte 78 planches. Christin a adapté la BD dans un premier scénario pour le cinéma à la demande de Scola, mais lorsque ce dernier l’a fait minuter par son équipe, on dépassait les 4h30 !!! Donc imaginez déjà rien que pour la foire aux immortels et la femme piège… on serait arrivés à 6h de film, c’est impensable. Donc je savais qu’il fallait voir les choses différemment et pas se contenter d’une simple adaptation. Par contre, si on m’avait donné carte blanche pour un film traditionnel, je n’aurais jamais fait ça. Je préfère partir d’un scénario original. Mais comme il s’agissait ici d’images de synthèses, l’optique était différente. J’ai accepté à condition d’avoir de vrais acteurs de chair et de sang dans les rôles principaux… Même si il y en a aussi qui sont en images de synthèse, malheureusement. J’ai du tout de même un peu me laisser infléchir par les contraintes de la production…

Tu es d’accord de dire que ces personnages entièrement numériques sont es moins convaincants du film.

Oui je sais. Ce sont les moins réussis. Sauf pour les dieux. Là c’était le seul moyen de vraiment rendre vivant des personnages qui n’ont rien d’humain finalement. Ces créatures égyptiennes me fascinent et je les trouve magnifique.

Dans le film, elles sont ramenées au niveau des hommes comme dans cette séquence ou Horus et Nikopol sont couchés côtes à côtes, mains derrières la tête et discutent en fumant une cigarette…

Oui, mais autours d’un viol ! Car c’est bien d’un viol qu’ils parlent. Un truc qu’ils ont fait à deux. C’est ça que je trouve assez cocasse. Et puis ces dieux là ne sont finalement que des créations humaines… tous d’ailleurs, y compris le dieu monothéiste de nos jours qui n’est aussi que pure création de l’homme, j’en suis convaincu. En fin s’il ne l’est pas, qu’il se manifeste. Je ne suis pas athée, mais agnostique au point d’attendre jusque la preuve vienne. Il est surtout intéressant de voir qu’Horus qui se présente prétentieusement comme une entité supérieure aux humains a tout de même besoin du corps d’un homme pour procréer. Moi c’est ce côté fable SF que je trouve le plus important dans le film. C’est ce qui a été le plus jubilatoire pour moi et ce que je trouve le plus réussi à l’écran. Autours de cet aspet poétique et intimiste on a construit tout un univers de SF qu’on espère le plus réussi possible et le plus crédible aussi.

Justement, mais en raison de la technique même de l’animation. Tu n’as pas peur que le film vieillisse comme le dessin de la foire aux immortels par exemple, album un peu à part dans la trilogie de par son ancienneté ?

Oui bien sûr. Mais à ce moment là on fait plus rien ! J’assume le côté expérimental du film. Sans Méliès, il n’y aurait pas non plus de cinéma et le travail de Mélièas a aussi vieilli comme un Metropolis ou déjà un Blade Runner… ça ne me dérange pas.

La foire aux immortels est aussi différent parce qu’il ne fait par référence au cinéma. Ce qui n’est pas le cas des deux autres albums où là l’influence est claire, même au niveau du nom Bioskop qui veut dire cinéma…

Oui et pourtant je baigne dans le cinéma depuis que je suis enfant. A 7 ans, j’allais toutes les semaines dans un cinéma de Belgrade. Je voyais toute sorte de films qui m’inspiraient. Dés que je rentrais je dessinais. On peut dire que le cinéma m’a donné envie de raconter des histoires. C’est parti de là. En arrivant en France, j’ai découvert la Bande dessinée en même temps que la langue française et là aussi ça m’a donné envie de raconter des histoires. Je continuais à aller au cinéma tous les dimanches. Si je voyais un péplum, je commençais une BD de peplum, puis le dimanche suivant je voyais un western, je commençais une BD de Western… Il y a toujours eu un parallèle entre les 2. Sauf qu’à 10-12 ans on ne rève pas de faire du cinéma, ça semble bien moins accessible que la BD. Même si à l’âge de 9 ans, j’ai joué un gamin dans un film qui dessinait sur les trottoirs de Belgrade. Par la suite, c’est des gens comme Fellini, Kubrick ou encore Polanski qui ont contribués à transformer mon graphisme au fil du temps. C’est aussi le cas de la littérature. Un auteur comme Lovecraft a profondément installé une sorte d’atmosphère dans mon dessin. Vous savez, cette espèce de couleur grise indicible… indicible, voilà un terme très lovecraftien. Et bien moi, lorsque je suis face à une palette de couleur, j’essaie souvent de fabriquer une couleur indicible.

Tu admets volontiers que tu as préféré ne pas te replonger dans les albums avant de réaliser le film et c’est vrai qu’il y a des pans entiers de l’univers Bilal qui son absents ou moins marqués dans Immortel… comme la politique par exemple.

Oui et bien la réponse est très claire… il y a du politique dans le film, mais aujourd’hui il est où le politique dans le monde ? Moi je n’en vois pas. Si, il existe bien une forme de nouvelle politique que je n’ai pas voulu mettre dans le film, car ça mérite un sujet en soi. C’est cette nouvelle bi-polarité. On a perdu l’antagonisme entre bloc soviétique d’une part et capitalisme américain d’autre part. Cette idéologie opposante n’existe plus. Dans les années 90 on a eu 10 de flottement durant lesquels le capitalisme s’est repositionné après sa victoire. Mais les états-unis pour pouvoir exercer leur contrôle et retrouver une certaine force sur le monde avaient besoin de retrouver la bi-polarité. Un monde tout éclaté est impossible à gérer pour eux. C’est pourquoi, un républicain comme Bush s’est engouffré dans l’islamisme montant pour l’élever encore plus et retrouver cette bi-polarité en arrivant à nous présenter ça comme le bien (le monde occidental) dune part et l’obscurantisme rampant de l’Islam d’autre part. Et de l’autre côté c’est pareil, mais avec les rôles qui s’inversent. Mettre ça en toile de fond d’une histoire d’amour entre Jill et Nikopol, ça relevait presque de l’indécence tant la toile de fond aurait été importante par rapport à l’histoire. J’ai donc pris le parti d’imaginer une autre solution, un monde ou l’obscurantisme serait défait et où l’Islam cohabiterait avec l’occident. Cet univers est une forme de dictature médico-scientifique oeuvrant pour le bien des hommes et se faisant du gras sur l’eugénisme, le non vieillissement, etc… Voilà la forme de politique qui est dans le film.

Plus conforme à la BD, on retrouve des clins d’oeils très visuels comme cette séquence de la rame de métro où l’on voit trois petits personnages encapuchonnés qui passent devant l’écran et qui sont aussi dans une case de la BD de 1980… c’est aussi un détail ajouté de mémoire ?

Oui je m’en souvenais. Mais dans le film, ils sont plus de trois, car en attendant ils on fait des petits (rires). J’ai truffé le film de clin d’œil dans ce genre comme les petits « willy » qui sortent du carrelage de la salle de bain ou qui nettoient le flingue dans le film. Je les ajoutés dans le film en repensant à une case de la femme piège où, dans un bar, il y a le même genre de bonhommes qui font la vaisselle dans l’évier. C’est des choses amusantes à explorer avec l’image de synthèse. Il y a aussi plein de trucs que je n’ai pas pu ajouter dans le film parce j’y ai pensé trop tard et qu’il n’était plus possible après de demander une numérisation en plus vu le boulot que ça demandait. J’aurais bien vu une sorte d’ « Anubas » comme dans la BD, un dieu hybride avec des attributs de tous les dieux réunis…

Tu as donc travaillé uniquement sur la mémoire. C’est amusant de voir que dans le film, Jill est amnésique, dans le Sommeil du monstre et 32 décembre, Nike fait dans le souvenir à rebours, Nikopol est aussi un personnage d’une autre époque qui arrive avec des souvenirs d’un autre temps… la mémoire semble être au cœur de tes préoccupations finalement.

(pensif) Ca, il faudrait peut être que je m’allonge une bonne fois sur un divan pour voir ce qu’il y à là derrière… Moi j’ai exploité tant l’amnésie que l’hyper mémoire. J’adore jouer avec la dilatation du temps. Mon champ est très vaste. Il va du passé au futur. C’est un terrain d’investigation fascinant puisqu’il sonde même la mémoire collective du monde qui nous concerne tous, à condition de tout embrasser. Les hommes politiques par exemple ne regardent que dans le passé et un tout petit peu juste devant eux… ce n’est pas suffisant. Peu de gens se soucient du futur, même au sens scientifique. On en a encore la preuve récemment avec ces rapports étouffés qui nous précipitent vers des catastrophes sans noms… Serge Lehman, qui a travaillé avec moi sur le script a une théorie que je trouve très juste sur la mauvaise perception de la science fiction dans les pays cartésiens comme la France par exemple. Pour lui, les gens ont peur de la science fiction parcequ’elle se focalisent sur un futur dans lequel ils ne seront plus… c’est une phrase à méditer. Moi, comme je m’occupe d’immortels, ça devrait aller (rires).
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