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en passant par son exposition, BILAL se livre entièrement pour nous...

Enki Bilal se dévoile un peu plus... Si ses dessins restent le meilleur moyen de savoir qui il est, écoutez le répondre aux questions que nous nous posons tous sur ce personnage et son monde, notre monde. Son compositeur attitré, Gora Vejvoda répond aussi aux questions et nous décrit son travail avec le dessinateur

Omniprésence: de la Bande Dessinée au cinéma et en passant par son exposition, BILAL se livre entièrement pour nous...


Richard Dreesens :  Comment expliquez-vous l'engouement pour vos bandes dessinées alors que les thèmes sont plutôt noirs?

Enki BILAL :  C'est difficile pour moi d'expliquer cela. Si l'on savait ce que l'on devait faire pour toucher un grand public, ou si l'on pouvait préméditer une carrière de dessinateur de romancier ou quelque métier que ce soit dans le domaine artistique ce serait trop simple. Ce qui passe dans mon travail est une forme d'authenticité, je crois que c'est très important. Il n'y a pas de calcul. Je compose des univers qui sont assez sombres, durs, violents, mais qui sont traités avec une espèce de sincérité obsessionnelle qui doit peut être toucher le lecteur. Moi je ne dissocierai pas le travail graphique de celui de l'écriture. Dans le travail fait avec CHRISTIN. je parlerai surtout des "Phalanges de l'Ordre Noir" et de "Parties de Chasse". Il y a toujours la volonté de faire en sorte que les dessins ne soient pas la redondance, l'illustration plate du scénario. Ce qui est, je pense, l'une des faiblesses de beaucoup de bandes dessinées à l'heure actuelle. Je crois qu'il faut créer une forme d'affrontement permanent entre les images que procurent le texte et les images qui sont celles de la narration dessinée. Il faut jouer sur le texte de telle sorte qu'il y ait une grande excitation de la part du lecteur à se fabriquer d'autres images.

R.D. :  Et on sent cela dans le dessin, ne serait ce qu'avec le mélange des techniques, comme les rehauts de crayon à papier qui donnent une force au dessin.

E.B.:  Mais si toi tu le ressens, si d'autres gens le ressentent, c'est aussi parce que moi même je l'ai ressenti en le faisant. Mais je ne veux pas analyser cela dans le détail. Quand je parle de sincérité et d'honnêteté vis à vis du lecteur, c'est cela que ça signifie. On peut décortiquer l'aspect graphique, le mélange des techniques, on peut disséquer la forme narrative et le choix de l'écriture: Les trois narrations de la trilogie sont très différentes les unes des autres. Mais là aussi, je n'ai pas fait de concessions. Je pense que si j'en avait fait au plus grand nombre à la fin de "La Foire aux Immortels", je n'aurai pas fait "La Femme Piège" telle qu'elle est. J'aurai probablement fais une Femme Piège beaucoup plus classique avec tous les acquis de "La Foire aux Immortels".

R.D.:  Philippe DRUILLET m'a dit que selon lui, la science fiction n'était possible qu'en piochant dans ses racines, dans le passé. Ne peut-on pas dire qu'il en va de même pour vous?

E.B. :  Il y a tout le bagage que l'on transporte en tant qu'être humain. Je crois énormément à la mémoire. J'ai une mémoire très sélective que j'utilise de manière très abstraite et que je mets au service de mon travail de créateur. C'est assez curieux mais j'ai du mal à me souvenir de ma vie enfantine à Belgrade. Il ne me reste que des bribes. Je suis incapable comme certaines personnes de reconstituer par puzzle ma vie. Néanmoins, je pioche dans ma mémoire de manière inconsciente pour fabriquer des univers. Cela rejoint un peu ce que dit Philippe sur la science fiction. Au delà de science fiction je préfère parler de perspective. Car je n'ai pas le sentiment de faire de la S.F. depuis quelque temps: J'en ai fait au début. Mais pour moi la trilogie ce n'est pas de la science fiction. Je dirais que c'est une réflexion ;prospective sur notre monde présent mais de manière décalée dans le futur. En effet là je prends les ingrédients du passé. relativement proche parce que le passé lointain ne m'intéresse pas. Parce que c'est mon histoire; il est évident qu'elle découle du passé... J'ai pris le train en marche en Yougoslavie dans les années 50, pays traumatisé par la guerre. L'iconographie que j'ai côtoyé à ce moment là était vraiment en prise directe avec des événements violents. C'est la matière vivante qui a produit ce que nous sommes aujourd'hui et ce que nous serons demain. C'est une façon de parler de mes peurs. Il n'y a rien de plus important je crois que le rapports de l'être humain au monde qui l'environne. C'est pour cela que tout ce que je fais à une résonance politique. Aujourd'hui on peut difficilement, je crois, raconter des histoires qui ne soient que des histoires de ce genre. Tout se tient: l'homme par rapport à l'homme, l'homme par rapport à un système.

R.D.:  Mais de toute façon, à la lecture des dernières pages de "Froid Equateur", on a l'impression qu'aucun système ne vous satisfait: notamment avec les dieux Egyptiens qui exposent leurs ambitions de déstabiliser les systèmes politiques tels que l'ONU.

E.B. :  Mais il n'y a plus de systèmes idéologiques. On l'a bien vu avec la faillite de deux systèmes qui étaient totalement imparfaits: le capitalisme et le communisme. La plus spectaculaire étant bien sur celle du communisme. On sait tout ce que cela à apporté comme drames. Mais le capitalisme aussi à failli; et le libéralisme essaye de se restructurer sans réelle idéologie. Si l'Europe a du mal à se faire c'est parce qu'il n'y a pas de projet commun; il y a une peur, une angoisse, c'est tout. Les hommes politiques gouvernent avec l'angoisse aux tripes car ils n'ont pas la capacité de voir plus loin que certaines échéances électorales. C'est là qu'il y a d'énormes paradoxes. Je ne me sens pas menacé par un manque d'inspiration dans l'avenir, j'ai le sentiment qu'il y a de plus en plus de choses à raconter.

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