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Je me souviens de "Donald", que j'aimais beaucoup."Donald Duck". On l'appelait "Paya Pata" (?) en Serbo-Croate qui était un supplément pour enfant de "Politica", journal du parti, journal de Tito.

[ Passe une chanson:" Frère Jacques"... ]

Première chanson et premiers mots, peut-être, que j'aurais appris de la langue Française, phonétiquement, à Belgrade, j'avais ans juste avant de venir en France.
Ce sont des bribes d'enfance que j'ai, heu, des bribes Belgradoises d'abord...des bribes de moment de la ville de Belgrade qui était une ville meurtrie, une ville qui ne s'était pas relevée de la guerre, de la deuxième guerre mondiale, qui ne se relèvera pas jusqu'à pas jusqu'à ce que la prochaine guerre nous tombe dessus. Les bombes de l'Otan avec tous ce qui a précédé bien sûr...
Donc c'est une ville qui semble destinée à ne jamais se remettre, à se réparer, s'autoréparer, qui vit dans un confort du délabrement, presque. Mais en même temps, ça peut être très stimulant, très beau, très enrichissant le délabrement. Moi dès mon enfance, ça me convenait très bien, car c'était un ville où la nature existait, où les saisons existaient. Et où l'enfance pouvait s'épanouir, où on pouvait jouer...
Donc c'est des souvenirs à la fois attendrissant et en même temps très...assez sélectif, assez sélectionné. Je crois que j'ai une mémoire sélective.

Moi je suis pas historien, mais je me suis pris l'histoire en pleine gueule, comme ça, sans le vouloir, hein! Quand on est dans un pays où l'histoire est si brutale et si violente, heu..., on côtoie le héros de cette histoire, je dirais, je dis pas que c'est un personnage que je croisais dans les rues de Belgrade, non, ce serait faux, mais qu'il était omniprésent, qu'il était pas loin, et qu'il était présent aussi par ses actes héroïques, qu'il continuait à faire, qui lui servait d'ailleurs de ciment, c'est comme ça qu'il a réussi à cimenter et à faire que ce pays tout à fait bâtard au sortir de la guerre puisse devenir un pays, qui a duré quelques décennies. Donc ça se sont...ça fait partie d'une culture accidentelle, donc quand on de vient "raconteur d'histoires", c'est un terme que j'aime assez bien, raconteur d'histoires, c'est un paramètre qui devient inévitable mais qui est très loin peut-être des paramètres plus tranquilles, comme la France où la dimension géopolitique n'a pas la même place, donc le bagage n'est pas tout à fais le même, et même pour celui qui naît à Paris et celui qui naît à Belgrade.



C'est peut-être dès nos origines, origines Balkaniques, c'est comme ça qu'on s'est connus. Il m'a contacté un jour pour me proposer sur Roméo et Juliette une version, on va dire très sociale, politique, géopolitique justement, un mur ,quelque chose d'assez violent, un peu à l'image d'ailleurs, de ce qui allait advenir des Balkans. Donc y'a ça, y'a ça...ça crée énormément de liens ça, cette espèce de lieu de naissance, ce voisinage partagé comme ça.
Et puis sinon peut-être, pfff...Après on bifurque, hein! Lui c'est un langage très particulier, c'est un langage des corps, alors c'est peut-être sur le langage des corps qu'on se retrouve...
Sans doute aussi la sensualité...Je pense que le fait d'avoir travaillé avec Angelin Preljocaj, d'avoir vu comment il travaillait avec son équipe de danseurs, a aussi été peut-être un détonateur pour moi, pour le travail sur la sensualité.

Je crois que la sensualité vient souvent de la violence, et là aussi on se rapproche. Peut-être que moi , ma partie, je dirais "chorégraphique" en temps que dessinateur, je l'ai faite dans un livre qui s'appelle Bleu Sang, dont le sujet est précisément la sensualité entre deux corps, deux personnages, un homme et une femme, et ce livre je l'ai fait après la première version d'ailleurs de Roméo et Juliette de Preljocaj, mais je l'ai faite au moment où la guerre en ex-Yougoslavie faisait rage, et de cette sensualité, qui n'était pas forcément le but de départ, je ne recherchais pas la sensualité, je cherchais peut-être une forme de grâce, et la présence, l'omniprésence de cette guerre qui est apparue dans le livre dans des décors très simples par des impacts, des choses...tout à coup les choses ont durcis, se sont écris réellement, se sont tendus et bien le thème, les deux corps, la demande des corps, les frôlements sont devenus sensuels.
Donc j'en déduis que quelque part, la sensualité vient aussi du contact et du background qui projettent autre chose, et qui fait que le désir, le besoin de l'autre est différent.


[ Angelin Preljocaj: Roméo et Juliette... ]

Les images du réalisme-socialisme...bon, c'est quelque chose qui fait partie de mes souvenirs d'enfance, puisque j'en était même quasiment l'instrument, puisque j'ai fait partie, avec des dizaines de milliers de gamins, j'ai fait partie des tableaux vivants qui étaient mis en scène pour fêter l'anniversaire de Tito, enfin j'exagère, mais en tout cas la victoire, la résistance pour marquer les grandes dates ,on va dire, de l'histoire de l'héroïque Tito. Donc voilà, c'est resté comme une espèce de culture, mais folklorique, quelque chose de plutôt...c'est des bons souvenirs tout ça, vraiment des bons souvenirs. On foulait la pelouse de l'étoile rouge de Belgrade, pour moi c'était un rêve de gamin, donc ça c'est...
Alors voilà, ce réalisme socialisme il reste comme ça, et puis je l'ai traité à travers des bouquins comme partie de chase avec Pierre Christin, ou d'autres livres, jusqu'à ce que cela devienne de l'histoire.
Bon il reste peut-être quelque chose de ça, mais je sais parfaitement que là, la page est réellement tournée...

Moi j'ai pas vécu de guerre, heureusement mais visiblement d'un pays où la guerre est un objet culturel, puisqu'elle se répète à intervalles régulier.
(indistincts) On a ces souvenirs là, ces images là, c'est pour ça que c'est inévitablement toujours les mêmes histoires.
Derrière tout ça, évidemment, ce n'est pas la guerre qui est en cause, c'est pas la guerre dans les Balkans ou ailleurs, c'est l'homme!

[ Panamarenko (artiste:voitures...)... ]

Moi quand j'était gamin, j'ai un peu fabriqué des objets, comme ça, mais petit ramasser une roue, un objet bizarre dans la rue, ça faisait immédiatement travailler l'imaginaire. C'est une démarche enfantine mais qui...comment dire...j'ai l'impression que c'est elle qui l'a embarqué, qui l'a façonné lui, il a été traîné par ce désir d'enfance prolongée mais quand je dis "désir d'enfance prolongée", ça n'a pas une connotation négative, ça n'a pas une connotation de repli, mais ça a une connotation d'ouverture. C'était sa façon d'affronter le temps et le passage des années...

[ Harmony Korine (film:cinéaste)... ]

Ces images sont des images de survie, il est évident que ce que lui, la manière dont il balance "Frère Jacques", dans ces images, dans son film, c'est à l'opposé de ce qui était pour moi un devoir douloureux d'enfant, qui devait apprendre un peu une chanson Française pour avoir, peut-être un peu comme un enfant de cirque, la capacité comme ça d'amener à l'école...
Donc c'est deux choses radicalement différentes, mais c'est d'autant plus émouvants que finalement, des paroles d'une telle naïveté puissent se retrouver dans des univers aussi éloignés et dans le temps, dans la géopolitique...
Comment comparer le monde qui est dépeint, qui est contemporain, celui de la mondialisation la plus effrènée, au titisme que moi j'ai connu, enfin bon...
Mais on parle sans doute de la même chose, de la même chose...
Et la violence fait partie de nos gênes, donc fait partie de notre monde...Ce qu'il montre lui, je trouve ça plus violent que ce que je montre moi, heu...mais c'est MA perception de sa violence, et ma perception de la mienne; Je m'arrange avec ma propre violence. Je pense qu'il y a une sincérité telle que c'est vital, c'est de la survie plus que de la résistance. La résistance ça implique déjà une stratégie personnelle de survie je pense...


Moi j'avais une peur étant gamin, enfin quand j'était à Paris, quand j'ai commencé à faire mes études, j'ai eu qu'une peur, c'est de devoir faire un métier qui ne me plaise pas...Tout les métiers ont commencés à me faire peur, très vite, donc pour rassurer mes parents, je leur disais: "Je serais ingénieur", car je dessinais bien. Alors je disais que je serais ingénieur, car ça, ça les rassuraient, c'est un métier noble, sérieux, etc, etc....
Alors qu'en fait, j'avais qu'une peur, c'était d'être enfermé dans...je ne sais pas...dans un bureau , être prof, avoir des horaires fixes, prisonnier d'un rythme social dont je ne voulais pas. Donc je suis sûr que d'une certaine manière, ma passion s'est transformée aussi en volonté de résistance contre un système que je ne voulais pas, moi, admettre. Et il fallait absolument que je sois libre, et donc en fait je dessinais contre quelque chose que je ne voulais pas devenir.


La langue Français a énormément contribué à la fabrication de mon style graphique, ça j'en suis profondément convaincu, tellement convaincu qu'il y a des poèmes, des textes que j'ai lu à l'adolescence, qui ont modifiés et ont fabriqués mon style graphique. Comment exprimer...ce n'est pas évident, mais j'en suis convaincu, convaincu que la lecture d'un Kafka, la lecture d'un Lovecraft par exemple, a généré toute une série...parce que j'ai cherché à un moment comment rendre en peinture les atmosphères, les...mêmes les couleurs indicibles, comment rendre une couleur indicible, comment la figurer, qu'évoquait un Lovecraft dans une espèce d'emphase, hein, parce que c'est un auteur très particulier...J'avais abordé la science-fiction par Bradbury, Asimov, des gens comme ça, bien avant évidemment Philip K. Dick ou Roger Zelazny, mais Lovecraft est celui qui m'a le plus impressionné par le côté...je trouvais que toute la science-fiction était trop saine. Il y avais quelque chose de sain, de propret, d'optimiste même, la vision du monde, la découverte des autres mondes, etc...Et Lovecraft a apporté cette touche malsaine, c'est un personnage absolument odieux, hein, un antisémite, un raciste, quelqu'un d'absolument odieux, mais qui a produit des oeuvres très...très malodorantes on va dire, presque parce qu'il réussissait à faire passer des choses par des descriptions toujours avortées, c'est ça qui faisait sa force, parce que rien n'était vraiment décrit puisque c'était indescriptible, rien n'était nommé parce que c'était innommable, rien n'était dicible parce que c'était indicible, donc on n'était que dans la frustration et dans le retrait. Et cette frustration moi m'a énormément fasciné, parce que c'est là je trouvais peut-être l'espèce d'ouverture pour moi m'y engouffrer.

[ Will Self (écrivain) "Ainsi vivent les morts"... ]


C'est assez étonnant parce que là, je suis en train de travailler sur la suite du Sommeil du monstre, et il ait question d'art, art comme...d'art du mal suprême. Voilà... Le mal suprême érigé en tant qu'art suprême, et c'est le personnage de la première partie de la partie de la trilogie qui s'appelle Warhole dans Le sommeil du monstre, qui revient sous une autre forme, avec cette obsession de faire des Happenings (???), des créations artistiques à l'échelle internationale, qui serait le mal suprême et il joue énormément aussi sur la mort et sur la concentration de cadavres, en créant de véritables nuages, mais nuages monstrueux au-dessus des villes, et qui sont le condensé des guerres et des cadavres. Mais c'est quelque chose qu'il réussit à produire physiquement. Voilà... Donc ça rejoint un peu cette idée de Will Self, mais je ne me poserais pas la question de mon personnage comme appartenant au diable, mais plutôt appartenant à...étant plutôt un artiste, parce qu'il dit à un moment donné, un personnage lui dit "Mais vous êtes fou !", quand on lui dit "vous êtes fou", il dit: "Non, je suis l'artiste" Donc voilà, le mal suprême, la folie suprême, ça peut être aussi un art.




[ www.arte-tv.com ]
[ Harmony Korine: "Julien Boy", film 1999 ]
[ Angelin Preljocaj "Romeo et Juliette" ]

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